30 octobre 2016

BLACK TV

(by Fal-bla-bla)

 

Cet article est en quelque sorte une référence à "Crack TV", un texte dans lequel je m'enthousiasmais à l'idée qu'il y ait davantage de Noirs à la télévision... américaine (pour la française, on verra dans 10 ans; l'Amérique innove, la France rénove, c'est bien connu). 
Il s'agissait alors de passer en revue un échantillon d'émissions de téléréalité dont les personnages étaient exclusivement noirs. C'était rare, c'était frais, c'était surtout tout ce qu'on avait, alors je m'enthousiasmais. 
Je m'enthousiasme pour un rien, c'est bien vrai.
Car, vois-tu, aujourd'hui, il y a mieux; beaucoup mieux: la télé a sacrément évolué, et je ne te parle pas que de la télé qui vend du crack mais de la télé bien comme il faut. 
Elle a pris des couleurs, a abattu quelques murs, bazardé quelques clichés et ce, en une poignée de mois à tout casser.

À vrai dire, j'aurais pu consacrer cet article aux nouvelles séries qu'il ne faut absolument pas manquer et il s'avérerait qu'elles sont toutes centrées sur des protagonistes noirs; et dans un monde idéal, tout le monde s'en battrait la rate. Mais puisque le mot "nègre" est encore lâché de nos jours avec une décontraction qu'on attribue trop souvent à de la maladresse , ou mieux, à de la candeur, et qu'être noir dans certains coins des États-Unis revient à servir de chair à canon pour policiers enragés, il me semble tout à fait pertinent de noter que les séries qui font parler cet automne sont bel et bien noires.

Il y a peu, j'ai entamé un article sur l'identité de la femme noire à travers quatre séries dans l'air du temps: "Empire", "Scandal", "How To Get Away With Murder" et "Being Mary Jane". Hélas, ce ne fut qu'une velléité de plus. Mais cet automne, je tiens enfin l'occasion de me rattraper. Et pour bien faire les choses, je compte t'entretenir de l'identité noire tout court (et comme, d'habitude, la femme passera à la trappe ^^).

Vaste programme, me diras-tu... Eh bien, pas tant que ça. Ce que les séries auxquelles je pense ont d'exceptionnel, c'est justement de mettre en lumière à quel point être noir est banal. Elles ne te traineront pas dans les couloirs de la Maison Blanche, sur des plateaux télé, ou encore au coeur de procès médiatisés et elles ne se repaîtront pas non plus de stéréotypes rances - le Noir s'illustre en rappant ou dribble pour survivre. Il ne s'agit ni d'idéalisme, ni de misérabilisme mais plutôt d'un entre-deux apaisant, qui érige la banalité en principe de normalité.

"Atlanta"


Ma première découverte fut "Atlanta". J'affichais d'ailleurs dans "Crack TV" ma passion pour "la capitale noire des États-Unis". "Atlanta" reprend les clichés évoqués dans cet article: hip hop, ghetto et dope, le tout servi par des prises de vue, un humour décalé et des partis pris narratifs qui ont un étrange arrière goût de "Breaking Bad", assurant un contraste rafraichissant et posant un regard neuf sur une frange de l'Amérique, qui n'est qu'une version dystopique de "Surbubia", ou Wisteria Lane, pour les inconditionnel(le)s de "Desperate Housewives".


Derrière et devant la caméra: le rappeur Childish Gambino (pour des raisons évidentes, il préfère "Donald Glover" quand il s'agit de produire des séries télé à succès; comme on le comprend...).
Earn, campé par Childish donc, tente de percer dans le milieu du hip hop après avoir abandonné un brillant cursus à l'université de Princeton. Il renoue, pour ce faire, avec son cousin du ghetto, qui deale et rime à  ses heures perdues, connaissant une gloire soudaine et quelque peu usurpée, à laquelle Earn veut lui aussi goûter. Les temps sont durs et les opportunités rares. Ainsi, au même titre que son héros,  "Atlanta" exploite des clichés éculés en même temps qu'il les détruit, illustrant brillamment la banalité du quotidien et les zones grises aussi.



"Queen Sugar"


La banalité du quotidien, les zones grises, c'est aussi ce que propose d'explorer "Queen Sugar", qui plante son décor au coeur d'une plantation, dans le Sud des États-Unis, dont viennent d'hériter trois enfants du pays aux parcours contrastés.


Nova, la journaliste naturopathe, vit une idylle clandestine et s'évertue à opposer sa vie à la marge aux incohérences d'un système qui écrase ceux auxquels elle a choisi de s'identifier: ceux qui, acculés par les
privilèges de race et de classe d'une société clivée, tentent de survivre malgré tout.
(oui, fan de "True Blood", je te vois jubiler:  il s'agit bien de Rutina Wesley...)


Ralph, le repenti en manque de reconnaissance, tente tant bien que mal d'élever son fils. Emblème d'une négritude qui oscille entre splendeur et décadence, le personnage de Ralph est surtout pétri de dignité et d'une grandeur à peine perceptible.



 Charley, la demie sœur moderne établie en Californie, a quelque peu délaissé les siens mais pertes et trahisons ont fini par raviver son attachement viscéral à sa terre. 


Produite par Ophrah Winfrey, la série nous offre trois facettes de la négritude prises en charge par trois êtres puissants à la croisée des chemins, à l'identité constamment défiée par les tourments de l'époque à laquelle ils appartiennent.



"Insecure"


La complexité dépeinte par "Queen Sugar" est également le postulat de départ d' "Insecure", le remake façon HBO de "Awkward Black Girl" que les accros de YouTube auront sûrement savouré il y a quelques années. Issa Rae (Diop ^^) y incarne la femme noire comme elle a rarement été représentée à l'écran: 
maladroite, pétrie de doutes et profondément attachante. 

 
"Insecure" relate les aventures hilarantes et souvent pathétiques d'Issa (personnage inspiré à 80% par sa créatrice). 
Issa cherche l'amour,  Issa rappe, Issa évolue dans un milieu professionnel qui ne lui convient pas réellement (sa patronne est le sosie de Rachel Dolezal, c'est dire...). 

 
Issa c'est moi, c'est toi, quelle que soit ta couleur; parce qu'un jour, avant une soirée, toi aussi tu as essayé toute ta collection de rouge à lèvres devant le miroir et tu as rappé en alternant les personnages au gré des couleurs que tu appliquais. 
Tu n'oseras jamais l'avouer en public bien sûr; ça reste entre nous. 



Issa évolue elle aussi en zone grise, se faisant, notamment par ses tenues et sa coiffure afrocentriques, l'emblème d'une culture dont elle s'échine pourtant  à rejeter les clichés. Elle prétendra par exemple ignorer la signification de "on fleek" pour contrarier les préjugés de ses collègues qui se donnent pourtant tant de mal pour ne pas avoir l'air racistes. 
Un truc que j'aurais moi-même fait sans scrupule, au passage.




Voilà donc trois séries qui réécrivent l'identité noire à leur façon et explorent des chemins jusqu'alors délibérément ignorés par la fiction destinée au grand public.
Bref, il semblerait qu'en ce moment  la télé américaine soit un vaste supermarché de la negrirude, celle qui ne s'excuse pas: il suffit juste de se servir !


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